Lucian by Isabel Abedi

Auteur:Isabel Abedi
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2014-06-21T16:00:00+00:00

- 17 -

Je passai la nuit avec Lucian.

J'appelai Suse pour la prévenir. Elle ne me posa aucune ques­tion, ce dont je lui fus très reconnaissante. Elle se contenta de noter son adresse, « au cas où », et je promis de donner de mes nouvelles dès le lendemain matin.

Ensuite, je composai le numéro de Jeanne et lui demandai « la permission de dormir chez Suse ». Elle ne se douta de rien et accepta spontanément. En cas de problème, mon amie me couvrirait.

Les quelques minutes que je consacrai à téléphoner furent les seules sans Lucian : par discrétion, il était sorti dans le cou­loir. Dès que j'eus raccroché, on ne se quitta plus.

On était assis sur son lit, serrés l'un contre l'autre comme des frères siamois ; la partie de mon corps collée au sien brûlait.

Je caressai sa paume lisse et immaculée qu'il avait aban­donnée dans la mienne. J'étais fascinée par la sensation que ce contact faisait naître en moi : c'était comme toucher du marbre ou de la soie, comme une feuille de papier vierge de toute écriture.

Il nous fallut un moment avant de pouvoir parler de nouveau.

- Tes mains, quand as-tu compris qu'elles étaient diffé­rentes ? soufflai-je.

- C'est grâce à la serveuse du restaurant où tu déjeunes le midi avec tes amis que je m'en suis aperçu. Quand elle a apporté mon plat, j'ai flashé sur ses paumes : elles étaient pleines de cicatrices ! J'ai dû faire une drôle de tête, car elle m'a demandé en riant si je lisais les lignes de la main. Elle a laissé la sienne sur le comptoir un bon moment. J'ai pensé d'abord que c'était elle qui n'était pas normale. J'ai vérifié sur d'autres gens, et j'ai vite compris que c'était moi, en fait !

Je repensai à notre rencontre, le soir de l'anniversaire de Suse : effectivement, il avait regardé mes mains.

- Peut-être que c'est génétique ? Une tare héréditaire, un truc du genre ?

- Une tare héréditaire ? répéta Lucian en refermant ses doigts sur les miens. Je serais curieux de savoir de qui j'ai hérité ça ! Comme mon patron me laisse consulter son ordinateur, j'en ai profité pour faire des recherches sur Internet, mais je n'ai trouvé personne né sans empreintes digitales ni lignes de la main.

Il pouffa.

- Peut-être que mes parents sont des extraterrestres ! Tiens, je pourrais suggérer ça à ta mère...

Je le fixai, horrifiée.

- Je plaisante ! ricana-t-il.

- Tu veux toujours partir loin d'ici ?

Je serrai son poignet ; j'avais si peur qu'il s'en aille ou qu'il me chasse de nouveau...

- Non, dit-il en m'enlaçant. Pas sans toi, en tout cas. Qu'est-ce que tu en penses ?

Il était beau comme un dieu. Je contemplai son visage en retenant mon souffle : le nez fin, les pommettes saillantes, les longs cils recourbés, les yeux bleu nuit...

Il me dévisageait, sourcils froncés.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?

- Toi aussi, tu es différente.

- En quoi ?

Il haussa les épaules.

- Je ne sais pas.

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